Audrey Marco est écologue et enseignante à l’Ecole nationale supérieure de paysage. Elle a activement contribué à donner jour à ce projet de friche paysagée et à l’inscrire dans une démarche de recherche–action. Depuis notre arrivée Place des quais, nous la rencontrons régulièrement à ce sujet. Nous l’avons invitée à partager sur ce blog une partie de sa réflexion.
« Frichage » voilà un terme sur lequel j’avais envie de m’attarder… Cela fait plus d’un an que le collectif Par ailleurs paysages s’essaye à une pratique d’accompagnement du développement de la Friche des quais et nous nous donnons rendez-vous régulièrement sur la Place des Quais pour discuter de son évolution, des actions à conduire et surtout des questions qu’elle nous pose. Et c’est lors de nos discussions que ce terme de « frichage » est apparu, puis, il est venu s’immiscer dans certains articles de ce blog, par exemple : « Grande soustraction de printemps – où le frichage s’affiche »…
Nous connaissons tous les nombreux termes qui résonnent en nous quand on évoque la friche et son évolution : l’enfrichement qui qualifie le passage progressif d’un terrain à l’état de friche ou encore défricher qui vise à la transformation d’un terrain boisé, d’une terre inculte vers une terre qui sera cultivable… Mais là, quel terme utiliser pour parler de cet accompagnement du développement de la friche vers un état végétal plus dense ? De la conduite de cette masse végétale dans le temps à qui on essaye de donner une forme pour qu’elle soit socialement acceptable? Des tests scénographiques qui donnent à voir les différentes étapes de l’évolution du couvert végétal?

Je ne suis pas sûre qu’il s’agisse de « jardinage » à proprement parler car les paysagistes de Par ailleurs paysages n’entretiennent pas et ne gèrent pas un jardin… ils ne préparent pas non plus le sol pour semer, planter. Ils ne protègent pas les plantes lors des périodes défavorables, ni ne tondent les espaces enherbés pour garantir des usages…pas de récoltes de fruits également…Ce terme de jardinage vient à nous spontanément car bien sûr c’est toujours plus facile d’emprunter des termes qui nous sont familiers pour parler de notre action…mais à bien y réfléchir, si nous savions comment conduire cette friche, nos gestes seraient déjà prédéfinis, sûrs, et nous ne parlerions pas d’expérimentation pratique…Or c’est bien de cela dont il s’agit ici, expérimenter une pratique gestionnaire et scénographique d’une friche, le « frichage », qui tendrait à l’émergence d’une friche paysagée.
Si je reprends les mots de nos paysagistes, c’est bien d’« apprivoiser le foisonnement. Le rendre reconnaissable, appréciable, presque familier. Adoucir son caractère sauvage, en fin de compte. Sans le domestiquer pour autant. Sans le vouloir prévisible ». Et c’est bien cela dont il s’agit ici, de développer un savoir-faire spécifique à la friche, un matériau vivant que l’on sculpterait au cours du temps, en accompagnant ses réactions, un art de la friche en quelque sorte… et dont le savoir-faire serait celui du « fricheur »!
C’est une petite révolution en matière d’accompagnement et de gestion de nos espaces de nature en ville car accueillir et conduire la végétation spontanée au quotidien, ici sous la forme d’une friche, une nature encore peu identifiée par les citadins en ville, demande de reconsidérer notre rapport à la nature urbaine et à sa gestion… ou comme le dit si bien Gilles Clément « faire avec la nature ou se libérer du principe de maîtrise ». Aussi, je reviendrai vers vous pour raconter ses gestes de frichage que le collectif Par ailleurs Paysages déploie dans cette belle friche des quais…
Audrey Marco
mai 2018
Une réflexion sur « Vous avez dit « frichage » ? »