Bave, coquilles et crustacés

Petites bêtes – épisode 1

Au début il n’y avait qu’une grande dalle minérale, sur laquelle reposaient les algecos. C’était avant 2016, avant que n’apparaissent la place des quais et son jardin sauvage. Trois ans plus tard, le végétal est là, incontestablement. Mais qu’en est-il de l’animal ? Outre les chats errants, les chiens en laisse (ou pas) et les pigeons frivoles, nous avons croisé tellement d’habitants qu’il nous faudra plusieurs billets pour vous en parler.

La création de cette place centrale n’a pas seulement rendu le lieu plus agréable aux humains. L’espace végétal qui s’y déploie est une grande maison garde manger pour une foule minuscule de petites bêtes : insectes, gastéropodes, arachnides et d’autres sont ici chez eux. Nous croisons régulièrement de nouvelles têtes.

À l’époque de la dalle, on peut supposer que les rares coins (relativement) frais et tranquilles étaient habités par une petite faune : geckos, lézards, peut-être quelques cloportes, certaines araignées… Ce petit peuple fut très probablement poussé à l’exil par l’ampleur des travaux, de type tabula rasa. A l’automne 2017, nous avions déjà pu constater que le sol commençait à être bien habité. Aujourd’hui, il y a foule dans les îlots.

Comme on vous l’avait raconté ici, la  friche paysagée est entièrement artificielle et s’est constituée à partir de matières d’origines diverses qui ont été le premier véhicule de la colonisation animale. Terre rapportée d’un champs près de Trets et mottes des végétaux venus de différentes pépinières ou transplantés d’autres friches ont certainement contenu des petites bêtes. On pense notamment à la limace, à l’escargot ou encore au vers de terre tant il est difficile de les imaginer traverser depuis les jardins voisins l’étendue tantôt aride, tantôt bondée de la place sans y périr… A l’exception peut-être d’un escargot athlète pouvant égaler le record du monde de vitesse établi au Royaume Uni par un de ses congénères à 9,9 mètres en une heure! (dixit Wikipédia, ici).

limace
Limace grise (Deroceras reticulatum) sur la cuvette d’arrosage des grands arbres. Printemps 2018.

La limace, elle, est moitié moins rapide (0,5 mm/seconde) que l’escargot mais elle excelle ailleurs: c’est une championne de la reproduction. Celle-ci a lieu deux fois par an, au printemps et à l’automne. Certaines espèces peuvent pondre jusqu’à 500 œufs dans le sol où ils incubent ensuite. Mais le devenir d’une nouvelle génération dépend fortement du climat. Les œufs ont besoin d’une humidité supérieure à 40%. Les adultes aussi craignent la sécheresse. Lorsque l’eau fait défaut (sous forme liquide ou gazeuse), la limace se réfugie dans le sol car elle ne peut plus produire de mucus et ne peut donc pas se déplacer. La friche paysagée est un jardin sec, très rarement humide. La limace ne trouve donc pas ici des conditions de vie très favorables. Néanmoins nous l’avons croisé aux abords des cuvettes des grands arbres qui constituent un point d’eau fiable pendant la période estivale.

Comme les limaces, les escargots ne sont pas des insectes.  Ce sont des mollusques adaptés à la vie aérienne, les seuls représentants terrestres de la famille des gastéropodes. Venues de la mer, certaines espèces ont su transformer leurs branchies en poumons et se mettre à secréter leur mucus particulier pour coloniser la terre. Cette ‘bave’ possède de multiples fonctions: faciliter l’avancement, se fixer sur certains parois, se protéger de contaminations virale, bactérienne ou fongique, se débarrasser des métaux lourds ou encore attirer un congénère pour se reproduire. C’est dire si la substance qui parfois nous dégoutte est en réalité un trésor de la nature que nous devrions plutôt admirer.

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Escargot petit gris (Helix aspersa) observé en petit groupe à l’assaut des plantes.
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Theba pisana ? ou Helix aspera juvénile?

Si la limace doit se réfugier sous terre lorsque l’humidité est insuffisamment élevée, l’escargot se rétracte à l’intérieur de sa coquille qu’il obture par un voile muqueux appelé épiphragme (du grec epiphragma, ‘couvercle’) pour éviter la déshydratation. A l’instar de Theba pisana, que l’on voit par milliers dans les prairies sèches provençales en été, certains escargots grimpent sur un mur ou s’agglutinent sur les tiges herbacées pour fuir la fournaise du sol.

cloportes en boule
Trois cloportes (Armadillidium vulgare) se sont roulés en boule pour se protéger

Si nous sommes surpris de trouver des mollusques sur terre, nous attendions-nous à y rencontrer des crustacés ? Le cloporte est le seul de sa famille à être entièrement terrestre. Toutefois, il a conservé les branchies de ses ancêtres marins et transporte donc toujours un peu d’eau avec lui, dans de petites poches étanches de l’abdomen. Pour résister plus longtemps à la dessiccation, les cloportes peuvent former des agrégats: voilà un animal social !

Ces petites bêtes n’ont pas la vie facile au contact des humains. Dans l’imaginaire collectif, elles sont plutôt associées à des figures péjoratives: limace et escargot ne sont-ils pas lents et nuisibles ? Cloporte ne signifie t-il pas moins que rien ? Pourtant, elles ont du mérite. Non xylophages (elles ne s’attaquent pas au bois des plantes), principalement détritiphages (elles consomment des déchets, de la matière en décomposition), elles ne sont pas à craindre dans un écosystème équilibré. Au contraire, leur présence doit être acceptée, voir recherchée. Si l’on parle souvent du labeur utile du vers de terre, on oublie de souligner que la limace contribue aussi à l’humidification et à la bonne qualité du sol, en décomposant la matière organique et en limitant les maladies fongiques (elle consomme les champignons)*. Le cloporte aussi participe au recyclage de la nécromasse. Quant à l’escargot, il est un met de choix pour les hérissons, les carabes, les oiseaux, etc. Ne serait-il pas dommage de priver ces derniers de leur repas?

 

*Par ici pour en apprendre plus au sujet de la limace, dans un passionnant exposé d’Hervé Coves.

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