Crataegus monogyna

un éclat délicat

« Elle a mis son grand voile de songe et de prière, car elle communie avec toute la terre ». En ce moment l’aubépine marque la belle friche des quais de son éclat évanescent.

Difficile d’être insensible au charme délicat que déploie l’aubépine au printemps. Après avoir retrouvé son feuillage ciselé, clair et brillant, elle se pare de nombreuses petites fleurs regroupées en corymbes1. A leur éclat, l’aubépine associe un parfum sucré, légèrement suave qui capte l’attention de tous.

De nombreux boutons préparent la relève et c’est heureux car le mistral qui a soufflé dernièrement aura certainement eu raison de ses pétales vaporeux. Ces confettis emportés par les rafales rappellent ceux qui tombent de l’amandier en février ou encore ceux du prunellier, de l’églantier et de la ronce. Cette similarité s’explique par l’appartenance de toutes ces plantes à la même grande famille des Rosacées qu’elles représentent dans la belle friche des quais.

C’est Crataegus monogyna, l’aubépine à un style, que l’on trouve ici. Son nom de genre, Crataegus, est hérité du mot grec « kratos »qui signifie « force », en référence à la dureté du bois que produit ce petit arbre (particulièrement résistant aux frottements, il était souvent choisi pour les pièces mécaniques). Son nom d’espèce, « monogyna » vient également du grec, et fait référence à la morphologie de l’organe reproducteur femelle des fleurs: contrairement à celles d’autres espèces d’aubépines, elles n’ont qu’un unique (« monos ») ovaire (« gynê » = femme) et les fruits qui leur succèdent ne contiennent donc qu’un seul noyau.

Ce nom ne mentionne pas deux autres caractéristiques majeures de la plante: sa floraison majestueuse et son piquant redoutable. D’autres noms vernaculaires s’attachent à ces attributs plus visibles: épine blanche, albépine, épine de mai… L’aubépine produit en effet des épines acérées qui, dissimulées sous le feuillage, réservent aux curieux indélicats de désagréables surprises. Cette propriété la rend très adéquate pour des haies dissuasives… même si l’explication de ces épines semblait plus noble aux yeux de Rémy de Gourmont qui écrivait: « l’aubépine défend son cœur et ses épaules, elle a promis sa chair à des baisers plus beaux »*.

Espèce pionnière, Crataegus monogyna est communément présente dans toute France, dans les campagnes, les bocages, les lisières, les friches et parfois les jardins où on la repère facilement au printemps avant qu’elle ne se fonde dans les masses verdoyantes.

On rencontre en Méditerranée une autre aubépine appelée azérolier (Crataegus azarolus) dont les drupes2 sont plus grosses (elles contiennent deux graines) et recherchées pour leur saveur acidulée. En comparaison, les « cenelles » de l’aubépine à un style comme celles de l’aubépine commune (Crataegus laevi. ata) sont farineuses et insipides. Elles ont toutefois été utilisées par le passé: la pulpe séchée puis broyait enrichissait les farines et les grains torréfiés remplaçaient le café. Si nos temps d’abondance les ont totalement exclues de nos pratiques alimentaires, elles restent en revanche une ressource intéressante pour les oiseaux à l’automne.

En attendant, l’aubépine fleurie de la place des quais nous invite dans une douceur certaine à profiter du chant du printemps, autant que faire se peut pendant le confinement.

1 Corymbe est le nom botanique d’une inflorescence dont les fleurs arrivent toutes au même niveau?

2 Drupe est le terme botanique qui désigne un fruit charnu à noyau

*Les extraits sont tirés du poème L’aubépine de Rémy de Gourmont, dont le symbolisme religieux rappelle que cette plante a été associée à la Vierge Marie depuis l’arrivée du christianisme en Europe, ses fleurs blanches et fragiles symbolisant la pureté et l’innocence.

Les premières lignes du fameux passage du « Côté de chez Swann », sont également chargées de ces accents religieux, avant que dans la suite Proust se concentre sur la sensation olfactive et ses effets.

« Je le [le chemin] trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir. Leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge et les fleurs, ainsi parées, tenaient chacune, d’un air distrait, son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qu’à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes, en comparaison, sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient, elles aussi, en plein soleil, le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait.

Mais j’avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu’elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m’unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m’offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu’on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret. »

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